Alors que les résultats ne sont pas encore officiellement proclamés,
les tendances sont claires. Le parti islamiste tunisien s’impose, et de loin,
comme le vainqueur de ces premières élections libres en Tunisie. Une première place
qui ne surprend personne, tous les sondages le laissaient présager, mais peu
avaient prédit un tel raz de marée. Ennahdha est première dans quasiment toutes
les circonscriptions, celles de l’étranger comprises.
Une campagne bien menée
Ce résultat vient sanctionner une campagne politiquement
impeccable, menée par Ennahdha. Dès la fuite de Ben Ali, puis l’obtention du
visa pour leur parti le 1er mars dernier, ils ont commencé à
« faire de la politique ».
Leur objectif était clair : s’installer définitivement dans le
paysage. Ils ont travaillé pour reconstruire leur réseau décimé par Ben Ali,
sans faire de vagues.
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(AP Photo/Hassene Dridi) |
Il fallait se faire petit pour rassurer une opinion
publique qui les méconnaissait. Ils ont même fait montre de désintérêt pour le
pouvoir : Rached Ghannouchi a déclaré, dès son arrivée, qu’il n’escomptait
pas être aux responsabilités. Ennahdha n’a participé à aucun des gouvernements
de transition et s’est montrée très conciliante dans ses critiques, y compris
vis-à-vis du RCD. Ils n’ont fait que surfer sur les différents mouvements
populaires post 14 janvier. Ils n’ont eu de cesse que d’essayer de lisser leur image :
rappeler à quel point ils ont souffert sous l’ancien régime (ce qui est
vrai) ; se présenter comme l’équivalent de l’AKP turque (un peu moins
vrai), garantir qu’ils ne toucheront pas au code de statut personnel (on verra)…
Bref, Ennahdha a fait une vraie campagne politique.
Ennahdha n’a pas fait sa campagne seule
Le parti islamiste a été aidé, et pas qu’un peu, par ses détracteurs.
Ces partis qui ont fait leur campagne en attaquant Ennahdha, ont soudé ses
militants et lui ont donné l’occasion de montrer leur tolérance à la critique.
Mieux, c’était le concours entre les partis « progressistes », à qui
diaboliserait le plus Ennahdha, transformant la campagne électorale en cour de
recréation. Au point que les critiques constructives devenaient inaudibles.
Déjà, dès le lendemain de la fuite de Ben Ali, entre autres
pièges posés par la contre-révolution, celui du débat sur la laïcité. Alors que
la question était réglée par un compromis acceptable, avec l’article 1 de la
constitution de 1959, plusieurs partis ses sont engouffrés dans la brèche et
tombent dans le piège à pieds joints, ils étaient dans un terrain où Ennahdha
était plus en phase avec l’électorat.
En Tunisie, l'année était ponctuée par des incidents où les islamistes et Ennahdha, par ricochet, étaient montrés du doigt: incidents lors de la diffusion de "Ni Allah, ni maître", agression à l'Université de Sousse et dernier épisode avec des manifestations suite à la diffusion de Persepolis sur Nessma TV. L’instrumentalisation hasardeuse de ces incidents, et particulièrement le dernier épisode, n’a pas arrangé les choses.
Les électeurs ont sanctionné les partis les plus virulents
vis-à-vis des islamistes et notamment les Parti démocrate progressiste, le
grand perdant de cette élection. Le PDP , donné favori derrière Ennahdha, a
fini en bas du tableau. La deuxième
place est disputée entre le Congrès pour la République (Centre-gauche
populiste), très conciliant avec les islamistes, qui a crée la surprise et la
Forum Démocratique pour le Travail et Liberté connu sous le nom Ettakatol (Social-démocrate).
C’est une victoire des conservateurs
La victoire d’Ennahdha est aussi la conséquence de neuf longs
mois d’instabilité. Les Tunisiens veulent un peu d’ordre et voient dans
Ennahdha le parti politique de l’ordre qui porte des valeurs, religieuses
certes, mais claires.
Nous pouvons être satisfaits par ces élections, elles se
sont déroulées relativement dans de bonnes conditions. On peut dénoncer quelques
dysfonctionnements, mais ils ne sont pas de nature à modifier le résultat. Le
problème réel était en amont du suffrage, le problème de l’argent et de la
publicité politique. En effet, Ennahdha avait des moyens considérables de
provenance inconnue. Mais ils n’étaient pas les seuls, et face à cette alliance
d’intérêts, les tentatives de l’instance de Yadh Ben Achour, dont la volonté
était de mettre de l’ordre dans le financement, ont été vaines.
Je suis, comme d’autres, déçu par les résultats. J’espérais
voir la Tunisie aller de l’avant et créer un nouveau modèle à la hauteur de ce
qu’elle a accompli par le passé, particulièrement ces derniers mois. Mais
voilà, ce n’est pas le cas et nous devons en prendre acte.
Plus que tout, je suis dépité par les réactions de ceux qui
refusent d’accepter le résultat. De ceux qui se sont trompés et perdus et
continuent à se croire détenteurs de la vérité absolue. Le Peuple a parlé,
acceptez votre défaite. Ne méprisez pas ceux qui ne sont pas de votre avis, sinon
jamais vous n’allez réussir à les convaincre.
Je suis optimiste pour l'avenir, malgré tout. La liberté est
un combat de tous les jours. Je ne l’ai pas demandé, une révolution et
plusieurs martyres me l’ont offerte. Je ne la laisserai pas se faire confisquée
par quiconque. Ennahdha a gagné !
Et alors ? S’ils trahissent la démocratie que les Tunisiens leur confient, ils
partiront comme ceux qui les ont précédé.
Et maintenant on va où ?
A l’heure où ce billet est rédigé, l’ISIE (Instance Indépendante pour les élections) n’a pas encore proclamé les résultats. Mais à
Tunis, les tractations doivent aller de bon train pour décider d’un carnet de
route : un président pour l’Assemblée constituante, formation d’un
gouvernement et un nouveau Président par intérim et là, tout est possible.
Lire aussi:
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La "gifle électorale" de l'élite autoproclamée tunisienne sur Les Echos Le Cercle
Pourquoi Ennahdha a gagné, et pourquoi ils ne gagneront plus aussi clairement par Houssein Ben Ameur
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